Article concernant ma composition « Epitaphe pour Hautbois & Cor Anglais »

Des fois il faut avoir du recul pour bien percevoir les choses et encore plus…Les personnes ! Je me souviens très bien et n’oublierai jamais mon professeur d’allemand au collège qui me semblait être une véritable terreur et qui le jour où je suis venu – des années après – réaliser mon stage dans mon ancien établissement s’est montré être le seul collègue aimable et même réconfortant.
C’est un peu la même situation avec le professeur de solfège que j’avais eu en deuxième année à l’école de musique d’Armentières. Une personnalité imposante, un enseignant très dur et exigeant et qui distribuait les punitions plus vite que son ombre !
Il ne m’avait vraiment pas fait apprécier la musique ou du moins le solfège à 8 ans. Le moindre petit geste, la plus petite réflexion faisait que je revenais avec des pages et des pages du Dandelot à recopier et à indiquer les noms des notes… Que je n’avais pas encore apprises ! Je n’étais pourtant pas un délinquant et n’étais pas seul dans cette galère.
Je me revois encore le samedi soir, à table, très tard, à copier et copier encore pendant ma mère faisait sa couture et que mon père lisait son journal ou faisait ses mots croisés. C’était long et pénible. Le pire était le cours suivant. Quand on rendait enfin sa punition, il ne la vérifiait même pas, la déchirait et la jetait immédiatement à la corbeille. Un véritable gâchis. Pas très pédagogique et complètement inutile. Mais avec la crainte qu’il inspirait à tous et particulièrement à moi, je ne me serais pas risqué de bâcler la punition ou de n’en faire qu’une partie…
J’ai arrêté la musique pour plusieurs raisons et ces souvenirs en faisaient partie. Mais des années après, à 12-13 ans quand j’ai recommencé à prendre des cours dans une école de musique plus petite et à l’esprit bon enfant, qu’elle ne fût pas ma stupeur d’apprendre que lui, ma terreur qui avait pris sa retraite, viendrait donner quelques cours l’année suivante pour mettre un peu de beurre dans les épinards !!!
Toujours aussi imposant et autoritaire, il s’était malgré tout adouci. J’imagine qu’on l’avait un peu briefé sur l’état d’esprit de la « maison ». Pour autant mes autres camarades séchaient régulièrement ses cours et il n’était pas rare que je me retrouve seul avec lui.
Avec le recul justement, je me dis qu’il aurait pu annuler les cours et pourquoi pas jeter l’éponge. Il ne l’a pas fait. Moi qui n’était pas au début très rassuré, marqué par mes souvenirs, je l’ai découvert sous un autre jour. Il s’est occupé de moi. Le cours devenait vraiment particulier.
On était à fond sur les lectures de notes avec plein d’exercices où l’on changeait mentalement les clés à tout instant. On lisait les pages à l’envers ou en omettant certaines notes. C’était varié et très utile. A fond sur la vitesse et la régularité. A côté de lui, le conservatoire de Lille, c’était vraiment de la gnognotte, de la blague.
Je faisais également des pages et des pages de théorie. J’aimais ça et je me revois tomber dans des pièges tout bêtes comme :
- Cherche les dièses dans la gamme de Fa majeur… Et bien oui, des dièses puisqu’il n’y a pas l’indication bémol dans le nom de la tonalité ! Hé hé hé !
- Ou d’oublier qu’il n’y a qu’un demi-ton entre Mi et Fa et de vouloir créer entre les deux notes un dièse ou un bémol… Les pièges classiques quoi…
Je le revois aussi surtout s’amuser de mes premières partitions que tout jeune je m’amusais à inventer. Mon prof de hautbois m’avait dit « Tu devrais faire en sorte que l’on puisse jouer ça avec une clarinette ou un sax » et du coup je m’étais décidé à transposer. Et le résultat était… Surprenant. Je m’étais bien embourbé. Il en a rit et à pris le temps de tout m’expliquer. C’est même avec lui que j’ai fait des doubles transpositions !
En harmonie ou en orchestre, certains étaient parfois étonnés de ma lecture à vue ou de ma capacité à transposer à vue. Cela me rendait un peu fier. C’est grâce à lui.
Je voudrais ici terminer avec une anecdote qui m’a beaucoup marqué et plus encore :
Pour un concert de Ste Cécile, je crois que c’était ma 3ème année de hautbois, on m’avait « offert » un cor anglais. C’était un Selmer Paris flambant neuf. Je le revois encore et j’ai l’impression d’avoir en mémoire l’odeur de l’étui quand je l’ai ouvert. C’était un magnifique instrument mais je pense qu’il n’était pas très juste même si j’étais moi aussi fautif très certainement. Mon professeur m’avait donné une anche qui lui venait de Maurice Le Jolif. Elle était bien plus agréable que les Glotin du commerce ! Le second mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvòrak, avait été mis au programme et j’étais aux anges un instant.
Un détail me chiffonnait pourtant. Etant le seul hautboïste de la classe et de l’harmonie et du secteur…Il me fallait assurer seul le hautbois ET le cor anglais. Evidemment, le jour du concert, vous ajoutez le stress en plus et on comprend que le passage d’un instrument à l’autre fût une catastrophe. Je tremblais comme une feuille morte en posant le cor anglais pour saisir rapidement le hautbois en une mesure ou deux. L’église était glaciale, les doigts engourdis sans parler de l’instrument et de l’anche, mon solo de hautbois avec la flûte fût une catastrophe. Ça zinguait de partout.
Peut-être que mon ressenti était trop sévère ? Mais je n’étais pas heureux et profondément déçu. Ce qui devait être pour moi un moment de joie s’était transformé en contraintes et craintes et le résultat me décevait. J’ai encore quelque part la cassette audio…
La cérémonie et la messe terminées, tous les musiciens sortants de l’église et rejoints par leurs proches venus les écouter, je trainais un peu, seul dans l’allée latérale, un peu lunaire et chargé comme un chameau avec mes instruments, mes pieds ou supports et ma pochette de partition.
Approchant de la sortie, il m’aperçut et vit tout de suite que quelque chose n’allait pas. Ça s’est toujours vu sur mon visage…
_Quelque chose ne va pas, Alain ?
_ C’est mon solo, je l’ai raté et j’ai loupé une entrée avec le changement d’instruments
_Oui mais tu étais seul
_Et alors ?
_Et bien tu ne dois pas t’en vouloir car des professionnels en orchestre n’auraient pas voulu faire ce que tu as fait. C’est très difficile.
Voilà. Cela résumé bien ce professeur. Lui qui m’avait inspiré de la crainte étant plus jeune mais qui m’a ensuite énormément appris, c’était lui le seul à voir que ça n’allait pas et à me rassurer.
Il était corniste et avait été l’enseignant privilégié de mon grand frère Denis, corniste lui aussi. Son instrument m’intriguait et m’amusait car son pavillon était entièrement démontable, dévissable. Son étui était de ce fait très plat, comme une valise et n’avait pas la forme caractéristique du cor. Il avait aussi un prénom incroyable que je n’avais jamais vu avant et jamais entendu depuis : Nérée !
J’ai poursuivi mes études et nos chemins se sont éloignés je le regrette. Il a pris une 2ème retraite en quelque sorte en cessant définitivement de donner des cours et à déménagé de région il me semble. J’ai appris sa mort en Août 2002 et j’ai souhaité lui rendre une sorte d’hommage avec une composition au style très libre que je n’ai jamais eu l’occasion de jouer.
C’est après avoir enregistré tout récemment un morceau au hautbois et au cor anglais, le Trio de Reinecke, que je me suis mis rappelé cette épitaphe musicale. J’ai remplacé le cor mais en faisant cela j’ai aplati de nombreux changements de registres qu’il ne possède pas hélas mais cela donne un aperçu et j’ai aussi gommé les pauses, les silences.
C’est déjà assez compliqué à jouer à deux et l’enregistrer seul est une galère. C’est imparfait mais je fais au mieux dans un temps imparti et malgré cela j’espère que vous saurez apprécier mes efforts.

Peut-être que de là où il est, il sait que je lui suis reconnaissant :
Merci Monsieur Deneuféglise.