Rondo Veneziano, ma madeleine de Proust

Rondo Veneziano : Andante Veneziano / Magico Incontro /  Riflessi sull’acqua


Quand j’avais 9-10 ans, je me souviens que j’avais subtilisé à mes parents une cassette audio sur laquelle se trouvaient des « tubes » du classique. Il n’était pas dans mon but de la faire disparaître mais plus simplement de me l’approprier, d’en revendiquer la propriété ! Un peu comme les Russes ou les Israéliens le font en annexant des territoires, l’air de rien, trouvant ça normal. Du coup, même si je réalise qu’il fallait un peu de toupet vis à vis de mes parents, vous comprendrez que je suis loin de culpabiliser et que je ne crains pas les foudres d’un tribunal international pour l’annexion soudaine d’une cassette audio ! 

Sur la jaquette, on trouvait le tableau célèbre de Degas avec le bassoniste et les pas des danseuses en tutu rose dans l’arrière plan. Chose amusante, je viens à l’instant de découvrir un autre tableau du maître avec quelques similitudes. Que Degas soit focalisé sur les jeunes et belles danseuses n’était pas une découverte (Oh le coquinou !) mais qu’il fasse encore apparaître un basson !  

Le programme musical comportait notamment la Grande porte de Kiev de Moussorgski... « modestement » orchestrée par Ravel, l’Allegretto poignant de la 7ème de Beethoven qui revisite le morse, la Petite musique de nuit de Mozart sous ecstasy, bien décidé à taper dans le plafond du voisin à minuit et puis surtout : l’oeuvre la plus célèbre oeuvre du compositeur vénitien Tomaso Albinoni, l’Adagio… A ceci près qu’il n’en a pas écrit une note…

Dans la maison résonnait aussi beaucoup d’accordéon, des chansons de Rina Ketty ou de Jacques Lantier, du Wagner aussi !!! Un peu de tout. En fouillant dans les microsillons, les disques vinyles, je pouvais trouver certaines choses aussi intéressantes qu’incroyables comme les interprétations de Mado Robin à la voix stratosphérique.

Je pense que j’étais chanceux alors. Disposer de postes radios cassettes et d’une chaine hifi représentait à la maison un certain luxe je trouve, quand aujourd’hui il est si facile d’écouter la moindre chanson sur un smartphone ou un Ipad. Mon père était même à la pointe de la modernité car je me souviens qu’il avait assez rapidement acheté des CD quand l’un d’eux coûtait alors plus de 180 francs au minimum. Mais quand je le vois réparer son vélo des années 50, en pièces détachées dans la véranda, je me dis que la modernité c’est du passé.

Nous avions 3 chaines de télé. Pas de programme débiles tournant en boucle 24H sur 24. Les publicités n’étaient pas aussi assommantes et intrusives. Les rediffusions n’existaient pas. Quelques dessins animés de temps en temps qui nous rendaient heureux. Bref, pas de quoi user les piles de la télécommande puisque… Nous n’avions pas de télécommande !

Un jour, depuis ma chambre, j’entendais une musique qui ne me déplaisait pas. Je l’avais vaguement entendue déjà. Mais là je l’entendais distinctement et me demandais vraiment ce que c’était. Nous n’avions pas ce style dans nos stocks.

Approchant de l’escalier qui menait au 2nd étage, j’appelais mon frère Pierre. Cela venait de sa chambre à lui et je voulais savoir ce que c’était. Le disque continuant sur sa lancée, il fallait lever la voix et je ne comprenais pas grand chose de la réponse.

_Dis, qu’est-ce que c’est ? C’est quoi ce que tu écoutes ??

_ C’est du Rondo Veneziano

_ Du quoi ??

_ du RONDO VENEZIANO !!!

Ici tout parait clair à l’écrit mais il me fallait quand même monter le voir et découvrir son disque avec la très belle pochette. Très vite le 2ème album fit son apparition à la maison.

Les goûts, les couleurs, ça ne s’explique pas. J’entends déjà certains rires moqueurs ou du moins certains sourires hypocrites. Ont peut aimer la gastronomie et de temps en temps aller se chercher une pizza… Quand d’autres vont au McDo.

Il s’agit d’une musique assez originale pourtant mais hybride. Ce n’est pas du classique, ce n’est pas non plus tout à fait de la variété. Les compositions de Gian Piero Reverberi puisent leur inspiration à la limite de ces deux mondes.

Si je suis d’accord pour dire que le groupe avec ses robes et ses perruques comme au XVIIIème siècle avait un déjà aspect « too much » dans les années 80 et que voir la batterie ou entendre quelques notes de synthé semblaient tout aussi étranges que de les regarder jouer en playback, j’avoue volontiers avoir été séduit par de nombreuses mélodies délicates ou de petits thèmes ciselés et variés à chaque fois qu’ils virevoltent !

Cette musique m’apportait étrangement une modernité à laquelle j’échappais et je pense qu’elle pouvait tout autant amener des personnes sur le chemin inverse en leur faisant peut-être apprécier un semblant de musique classique.

Pour moi qui quelques temps après commençais l’apprentissage du hautbois, c’était du pain béni que d’entendre autant de solos ou de petites réparties sur mon instrument fétiche. Après même pas un trimestre d’études, je commandais la partition dans la magasin familial et réputé de Guy Houzet. Je n’avais aucune références précises, un titre et Ricordi de mentionné sur le disque. Après de très nombreuses semaines ma partition arrivait enfin. C’était ma première partition et c’était bien plus intéressant à jouer que la méthode Cruchon !

C’était une réduction pour piano. Avec elle, j’améliorais ma lecture et mon audition, je jouais en même temps que le disque et je passais beaucoup de temps à regarder comme c’était écrit, comment la musique était construite. C’est un questionnement qui m’est revenu souvent par la suite : comment est-ce écrit ??? Alors oui, ce n’était pas le Sacre du Printemps mais cela m’a tout de même aidé et fait progresser. Le hautbois mais aussi le piano sur lequel je restais un peu sur…la touche. Pour la composition, cela me montrait très clairement des bases harmoniques.

C’était un univers qui me plaisait. Il me plongeait dans Venise par les titres et les illustrations de ces morceaux. Je voyageais entre cet imaginaire et les très belles photos d’un numéro de la revue Géo dédiée à cette ville merveilleuse et que je finissais par connaître et toucher du doigt. Il ne m’était pas difficile de connecter ce monde sonore à celui plus « puriste » des Albinoni, Vivaldi, et Marcello .

Cette musique des années 80 (même si elle a continué bien après mais en devenant très confidentielle) est dans la ligne de ce que faisaient Francis Lai et Ennio Morricone en associant batterie, guitare basse, synthé, moyens de studios avec des instruments classiques. Avec le développement de clips vidéos, elle était dans l’ère du temps même si la diffusion en était bien limitée.

Si cette musique vous parait ridicule, j’avoue l’apprécier de mon côté comme une bonne madeleine de Proust. Et ces derniers temps, il semble que j’ai plongé ma main toute entière dans le sachet de madeleines…A en juger par ces 3 enregistrements. J’espère que vous me ferez le plaisir de les écouter et de les regarder.

When I was 9-10 years old, I remember that I stole an audio tape from my parents that had some classic « hits » on it. It wasn’t my aim to make it disappear but more simply to appropriate it, to claim ownership of it! A bit like the Russians or the Israelis do by annexing territories, looking like nothing, finding it normal. So, even if I realise that it took a bit of nerve towards my parents, you’ll understand that I’m far from feeling guilty and that I’m not afraid of the wrath of an international tribunal for the sudden annexation of an audio cassette!

On the cover was Degas‘ famous painting with the bassoonist and the steps of the dancers in pink tutu in the background. Funnily enough, I have just discovered another painting by the master with some similarities. That Degas is focused on the young and beautiful dancers was not a discovery (Oh the rascal!) but that he still shows a bassoon!

The musical program included Mussorgsky‘s Great Gate of Kiev … « Modesty » orchestrated by Ravel, Beethoven‘s poignant Allegretto from the 7th which revisits the walrus, Mozart‘s Little Night Serenade on Ecstasy, determined to tap into the ceiling of the neighbour at midnight and then above all: the most famous work of the Venetian composer Tomaso Albinoni, THE Adagio… Except that he didn’t write a note…

In the house also resounded a lot of accordion, songs by Rina Ketty or Jacques Lantier, Wagner too !!! A bit of everything. Digging through the LPs, the vinyl records, I could find some things as interesting as they were incredible, like the interpretations of Mado Robin with her stratospheric voice.

I think I was lucky then. Having cassette radios and a hi-fi system was a luxury at home I find, when nowadays it’s so easy to listen to any song on a smartphone or an iPad. My father was even at the cutting edge of modernity because I remember he bought CDs pretty quickly when one of them cost more than 180 francs minimum at the time (33$). But when I see him repairing his bike from the 50s, in parts on the veranda, I tell myself that modernity is a thing of the past.

We had three TV channels. No stupid programs running on a loop 24 hours a day. The commercials weren’t as boring and intrusive. Reruns didn’t exist. A few cartoons every once in a while that made us happy. In short, nothing to wear out the batteries of the remote control since… We didn’t have a remote control!

One day, from my room, I heard music that I didn’t mind. I had heard it vaguely before. But now I could hear it clearly and really wondered what it was. We didn’t have that style in our stock.

As I approached the stairs leading to the second floor, I called my brother Pierre. It was coming from his room and I wanted to know what it was. As the record continued, I had to raise my voice and I didn’t understand much of the answer.
_ What is it? What is that you’re listening to??
_ It’s Rondo Veneziano.
_ What?
_ RONDO VENEZIANO!!

Here, everything seems clear in writing but I still had to go up to see him and discover his record with the very beautiful cover. Very quickly the 2nd album appeared at home.

The tastes, the colors, it cannot be explained. I can already hear some mocking laughter or at least some hypocritical smiles. We may like gastronomy and from time to time go for a pizza… When others go to McDonald’s.

It’s a rather original yet hybrid music. It’s not classical, it’s not quite variety. Gian Piero Reverberi‘s compositions draw their inspiration from the borderline between these two worlds.

If I agree that the band with their dresses and wigs like in the 18th century already looked « too much » in the 80s and that seeing the drums or hearing a few synth notes seemed just as strange as watching them play, I readily admit to having been seduced by many delicate melodies or small chiselled and varied themes every time they twirl!

This music strangely brought me a modernity that I was escaping from and I think it could just as easily lead people in the opposite direction, perhaps making them appreciate a semblance of classical music.

For me, who some time later began to learn the oboe, it was blessed bread to hear so many solos or small ones spread out on my favourite instrument. After not even one term of study, I ordered the score from Guy Houzet‘s famous family store. I had no precise references, a title and Ricordi mentioned on the disc. After many, many weeks my score finally arrived. It was my first score and it was much more interesting to play than the Cruchon method!

It was a piano reduction. With it, I improved my reading and my hearing, I played at the same time as the disc and I spent a lot of time looking at how it was written, how the music was constructed. It’s a question that often came back to me afterwards : how is it written ???? So, yes, it wasn’t the Rite of Spring, but it did help me and helped me progress. The oboe but also the piano on which I stayed a bit on the… the key. For the composition, it showed me very clearly the harmonic bases.

It was a universe that I liked. It plunged me into Venice through the titles and illustrations of these pieces. I travelled between this imaginary world and the very beautiful photos of an issue of the magazine Géo dedicated to this wonderful city, which I ended up getting to know and touch with my fingertips. It was not difficult for me to connect this world of sound with the more « purist » world of Albinoni, Vivaldi, and Marcello.

This music of the 80’s (even if it continued long afterwards but became very confidential) is in line with what Francis Lai and Ennio Morricone did by combining drums, bass guitar, synthesizer, studio equipment with classical instruments. With the development of video clips, it was in the era of time even if its diffusion was quite limited.

If this music seems ridiculous to you, I must admit I appreciate it on my side like a good Proust madeleine. And lately, it seems that I’ve been dipping my whole hand in the bag of madeleines…Judging by these 3 recordings. I hope you’ll do me the pleasure of listening to and watching them.

2 réflexions sur “Rondo Veneziano, ma madeleine de Proust

  1. Bonjour Alain,

    Je n’ai pas votre plume et de toute façon vous n’êtes pas Pierrot alors je vais quand même à ma chandelle écrire avec l’encre de ma musique.

    Encore un grand merci pour cette littérature agréable à lire, riche en anecdotes sur le hautbois…
    Comme vous le savez je suis Hautboïste ou j’essaye de l’être et surtout de le rester 😉
    Je vous avais indiqué la motivation du commencement de cette histoire avec mon instrument.
    Au commencement, il y avait la genèse euh le générique Antenne 2 du début et fin des émissions.
    J’y ai réussi à capter les ondes bénéfiques de l’instrument sans en connaitre le nom 😉
    Puis vint Rondo Veneziano, je ne peux que vous rejoindre sur vos propos, un vrai encouragement et plaisir à faire découvrir l’instrument au collège grâce au professeur de musique du collège qui était également professeur de clarinette et chef d’orchestre à l’école de musique de Wattrelos. la chance d’avoir était entouré d’un passionné qui aimait son métier transmettre l’envie de faire écouter de la musique…ok je m’emballe mais en vérité je vous le dis oulala revient à la musique
    C’est vérité que de dire heureusement que l’on croise des personnes animées de l’envie de partager…un peu comme vous 😉

    C’est ce professeur qui m’a invité à commencer la flûte à bec en 6em , ah sacré bel instrument aux nombreuses possibilités et pour pas cher. Je ne connaissais pas le solfège mais cela m’a donné l’occasion de reproduire à l’oreille ce que je j’entendais pour le plaisir des camarades de classe, il faut me croire sur ce coup là.
    C’est ainsi qu’il m’a encouragé et je l’en remercie à m’inscrire au conservatoire de Roubaix ou il y avait une classe de hautbois, l’instrument que je voulais faire juste en ayant entendu sur Antenne 2 le son et capté les ondes venus d’un autre monde pour un terrien en détresse et ce Rondo Veneziano.
    qui me donne un peu d’Air pour le hautbois,..
    Merci la télé car effectivement pour le coup et le coût je n’avais pas de chaîne hifi mais lorsque je les voyais à l’académie des neufs ou ailleurs sur les nombreuses chaînes de l’époque quelle joie 😉

    Au conservatoire de Roubaix, j’ai eu la chance de côtoyer Daniel Pierron un professeur de hautbois vraiment passionné, patient, qui donnait l’envie. Oh combien l’envie est important pour apprendre un instrument aussi facile que le triangle « rire » ( cf un de vos articles)
    Daniel Pierron a été le professeur de hautbois à Roubaix et Arras qui a fait démarrer l’apprentissage de François LELEUX jusqu’au CNSM de Paris. Ca faisait déjà quelques années que je le croisais parfois notamment lors des examens de fin de cycles, concerts, en classe… Un vrai bonhomme déjà alors qu’il était préadolescent qui forcement m’encourager à poursuivre.

    Bon au commencement, je voulais vous faire découvrir un groupe de musique « Fordanté » qui se rapproche de Rondo Veneziano. J’ai été charmé, sans doute le charme du hautbois un bon disque également au passage.

    Voici le lien ils ont également créé un album The arrival que vous pouvez commander sur leur site par envie….
    Bonne découverte et écoute…
    The arrival : https://youtu.be/LLAoL2_rkow
    Sereno : https://youtu.be/t6SnQ-ZXuWU

    Le site de Fordanté
    http://www.fordante.com/products-page

    Bien hautboïstement
    Alain

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  2. Bonjour Alain,
    Que de souvenirs remontent à la surface en lisant votre billet plein de douce nostalgie qui n’est que bonheur oublié. J’avais effacé quelque peu de ma mémoire ces petites perles que j’avais appréciées. Je vais réécouter avec plaisir ces moments surgit du passé. Merci pour votre plume pleine de malice et de délicatesse.
    Bonne journée
    Gérard

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