Article autour des Sinfoniae issues de la cantate Bwv 12 « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen » et Bwv 21 « Ich hatte viel Bekümmernis » de Johann Sebastian Bach, histoire, analyse, version hautbois et piano
Cantate & Sinfonia
Que ce soit à Weimar ou à Leipzig, Bach s’était engagé notamment à composer des cycles annuels de cantates, des oeuvres religieuses dont il choisissait les textes et qui s’organisaient en plusieurs parties où alternaient les choeurs, les récitatifs et les airs. Parmi les interprètes, nous avions des voix solistes, un choeur et un orchestre assez réduit mais duquel s’émancipaient régulièrement des instruments solistes comme le traverso, le hautbois d’amour ou le violon.
Ces moments instrumentaux privilégiés se trouvaient au détour d’une aria mais aussi dans une sinfonia introductive, qui ouvrait parfois instrumentalement la cantate.
Parmi les très nombreuses cantates, deux sortent du lot pour leur potentiel émotionnel lié à la peine, à la souffrance et au salut dans la mort, sur les pas de Jésus : Bwv 12 crée pour le 3ème dimanche après Pâques et Bwv 21, pour le 3ème dimanche après la Trinité, fête qui suit la Pentecôte. Mais ces deux oeuvres pouvaient être jouées librement dans l’année, per ogni tempo.
Ecrites à Weimar vers 1714, il semblerait même que Bwv 21 soit quelque peu antérieure. Elles ont également toutes deux été reprises à Leipzig avec des modifications une dizaine d’années plus tard.
Les hautboïstes les connaissent bien car elles commencent toutes deux par une émouvante sinfonia où le hautbois est soliste. Elles sont très expressives mais également très exigeantes par leur ligne rarement interrompue… 🥵 😁
Des concertos perdus ?
Le Cantor a souvent utilisé – il est vrai – les mêmes matériaux, reprenant, modifiant et complétant des oeuvres entières. Ainsi et juste pour l’exemple, les 2 premiers mouvements du fabuleux concerto pour clavecin en ré mineur existaient déjà dans une version pour violon et on les trouvaient encore dans une cantate ! (Bwv146)
Concernant le hautbois, Bach l’a utilisé dans l’immense majorité de ses cantates avec un rôle parfois « concertant » il faut l’avouer. Et en retrouvant les mêmes passages mais alors adaptés pour le clavecin ou l’orgue ou le violon, il était tentant d’imaginer une version perdue, un original désiré. Plusieurs oeuvres ont donc été « reconstruites » avec un certain consensus.
Avec ces 2 Sinfoniae, je lis parfois qu’elles seraient issues elles aussi d’un concerto perdu pour hautbois. Et pour être franc, je m’interroge à ce sujet. 🤔
Bach prenait soin de faire copier et recopier ses partitions, les parties, le matériel d’orchestre par ses enfants et aussi par sa femme même ! Et même si je sais que Whilhelm Friedemann Bach a bazardé une partie de l’héritage artistique de son père, aurions nous perdu à ce point autant d’oeuvres « originelles » ? Et à chaque fois des concerti ? avouez que cela ne serait vraiment pas de chance…
Mes doutes…
Le manuscrit de Bwv 12 laisse planer le doute avec l’écriture de Carl Philip Emmmanuel Bach qui indique en couverture et au dessus de la ligne du hautbois le titre « Concerto« . (Bwv 21 possède également le titre « Concerto » sur la page du manuscrit 😉)
L’accompagnement assez régulier et mécanique des cordes serait également approprié ainsi que l’équilibre des différentes parties. Mais ne peut-on pas imaginer que cette musique soit précisément taillée sur mesure avec les autres mouvements de la cantate dès l’origine et que Bach avait l’arrière pensée de l’utiliser ultérieurement dans une oeuvre plus solistique… Sans que celle-ci ne voit le jour ?
A moins que cela ne soit l’inverse : l’esquisse d’un projet avorté que l’on utilise judicieusement pour son pathos dans cette cantate !? 🤓
En ce qui concerne BWV 21, on oublie trop souvent de remarquer que la partition ne s’adresse pas à un hautbois et à un pupitre de 1ers violons mais à un hautbois et à un violon dont les voix, les lignes contrapuntiques serrées rappellent un peu le mouvement lent du 1er Concerto Brandebourgeois. Mais de là à imaginer un concerto originel pour violon et hautbois ? Surtout qu’en examinant la partition, les parties de 2nd violon et d’alto sont clairement indigentes : du remplissage. Ne ressortent vraiment que les 2 lignes contrapuntiques du violon et du hautbois et la walking bass du continuo. Bref ! Vous ajoutez les jeux d’anticipations et de retards avec leurs dissonances et vous obtenez un belle écriture à 3 voix, parfaite pour un orgue ! 😶
Et dans le même temps… Cette musique par ses points d’orgues, ses suspensions haletantes, me semble terriblement opératique, dans le sens où elle est écrite pour une cantate hors norme dans ses proportions : un drame dans tous les sens du terme. Cette Sinfonia ne mériterait-elle pas malgré tout d’avoir été écrite tout spécialement elle aussi pour cette cantate ?
Je n’offre pas mes certitudes. J’ai beau avoir étudié la musicologie, je n’en suis pas musicologue pour autant. Mais j’écoute avec l’intuition et le coeur, ce qui me pousse à offrir… mes doutes. Libre à vous après d’éclairer le débat, j’en serai trop heureux.
Quelques réflexions sur mes enregistrements
Bach m’a toujours ému et particulièrement ses oeuvres les plus poignantes je le confesse. Sa musique entre en résonance en moi et j’ai toujours pensé qu’elle donnait la foi, la ravivait, même sa musique profane ! Un athée ne pourrait pas douter de l’existence de Dieu en écoutant du Bach ! 😄
Sa musique trouve en moi de nouveaux échos pour des raisons personnelles sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici mais qui me donnent plus d’envie et de coeur à vouloir les jouer et à en garder une trace aujourd’hui.
Cette trace est nécessairement imparfaite de par mon jeu et mes moyens. Mais j’essaie de partager ma passion, dans tous les sens du terme.
Dans Weinen Klagen Sorgen Zagen, j’ai tenté de jouer les doubles croches des violons à mi-chemin entre la régularité et l’inégalité. J’avoue que mon coeur les aurait volontiers jouées bien plus inégales mais je craignais de me faire vilipender ! Sur le piano, ce n’est pas aussi aisé à rendre que le subtil jeu des cordes et de leurs archets et je trouve que beaucoup trop d’enregistrements adhèrent trop strictement à une vision solfégique de la notation et que beaucoup négligent les liaisons par 2.
Pour le hautbois, il est clair que j’ai voulu sciemment utiliser le rubato. C’est ainsi que je ressens, intériorise et comprends cette musique de l’âme et du corps. Je lui trouve même une certaine suavité ici où là, quand l’âme se fait plus douce malgré les pleurs du corps en peine…
Après se pose la question de la maitrise des intentions… Est-ce que cela est bien fait… Ou de bon goût ? Je ne peux y répondre personnellement. Si j’arrive à ma mesure à faire passer ou deviner mon intention musicale, c’est déjà alors une bonne chose pour moi qui a une tendance à l’autoflagellation hautboïstique !
Je regrette toutefois m’être un peu trop emporté sur la dernière syncope. Mais pourquoi autant de violence ? 😅 Le fait d’entrevoir le bout du tunnel lors de l’enregistrement et de se dire « Ouf ! Je vais enfin pouvoir respirer » ? Ou ma psyché personnelle qui jaillit ?
J’aimerais croire que malgré tous les défauts de mon travail, ce dernier à quand même de la valeur car quand je joue ici j’implique une réelle charge émotionnelle et suis un peu dans un état second. Quand cela se termine, après la pression de réaliser plusieurs prises d’affilées jusqu’à en avoir une qui me satisfasse un minimum, je suis lessivé et rincé ! 😰😄
Concernant Ich hatte viel Bekümmernis, il s’agit à l’origine plus d’un dialogue aux lignes mélodiques intriquées, enchevêtrées, du violon et du hautbois, soutenu par une ligne de basse. Cela m’a donné l’idée de jouer cette Sinfonia avec le hautbois d’amour en remplacement du violon dont la partie est plus grave que celle du hautbois et qui ne m’a contraint à réaliser qu’une seule modification pour une question d’ambitus de mon instrument.
Le hautbois d’amour apporte un peu plus de rondeur et une petite migraine pour ceux qui n’ont pas digéré le cours sur la transposition. Bon après… Faut pas être allergique aux bémols et en Mi bémol mineur, il y en a quelques uns…. 🤓😜
Avec le hautbois, comme le hautbois d’amour, j’ai été plus sage sur le rubato. Je le crois du moins…
Vu que je suis seul à jouer, si à un moment je peux être synchro – et pas que par un heureux accident – je suppose que tout le monde y gagnera ! 😅
Au piano, la partie était un peu pauvre et j’ai souhaité que la sonorité soit assez chaude tout en gardant une ligne précise ; je voulais que les basses soient un peu plus punchy et j’ai travaillé un peu sur le logiciel pour aller en ce sens.
Pour les instruments mélodiques, je m’aperçois que jouer sur le palier face à l’escalier n’était peut-être pas le choix le plus judicieux. J’aime bien jouer là, chez moi, car j’y ai une réverbération naturelle assez agréable. Mais avec les lignes complexes et chargées de Bach j’aurais presque aimé avoir moins de réverbération.
La question de la prise de son a également été problématique. Question de savoir faire surtout et de moyens techniques dans une moindre mesure sans doute. Mais lier et donner de la clarté avec les instruments n’est pas chose aisée je trouve avec un enregistrement en re-recording. 😅
Quoiqu’il en soit, j’ai fait de mon mieux à un moment donné. Je joue et j’enregistre pour le plaisir, par envie et parce que j’en ressens le besoin. Mais je ne suis pas dans la démarche de faire une maquette ou un cd. Sans quoi je jouerais encore !
Maintenant, si vous souhaitez m’apporter vos remarques constructives, elles sont les bienvenues !
Questionnement sur Bach et la Mort
Il y quelques semaines encore, je commençais à travailler en classe avec mes élèves de cinquième la chanson Hijo de la Luna et lorsque fût abordé le sens du texte avec la gitane qui doit sacrifier et offrir son enfant à la Lune, un élève eut une réaction stupéfiante : « Et bien, monsieur, elle n’a qu’à en faire un autre !? »
Il ne soupçonnait visiblement pas la charge symbolique mais surtout émotionnelle, la souffrance que de perdre un enfant, la rupture violente de l’amour que nous projetons sur lui, le véritable coût de la vie qui peut nous en faire perdre le sens…
Ce n’était pas une provocation de sa part et il ne pensait pas à mal. Néanmoins j’étais abasourdi et d’autres élèves avec moi !
Mais cet évènement me fit penser étrangement à Bach. Il est connu de tous que ce dernier a eu 20 enfants dont plus de la moitié sont morts en bas âge… Et je ne me suis jamais imaginé un instant à sa place… Ein feste Burg pensais-je naïvement de la personnalité de Bach. (et pas beaucoup mieux que mon élève finalement…)
Nombreuses sont les oeuvres du Cantor transcendées d’une foi intense et qui sont en lien avec la mort. Les deux Sinfoniae ne sont certes pas les seules mais peu avant leur création Bach vient de perdre 2 enfants :
- Johann Christoph, décédé le jour même de sa naissance, le 23 février 1713
- Maria Sophia, soeur jumelle, qui décéda peu de temps après, le 5 avril 1713
Un compositeur d’un tel talent n’a nul besoin de ces bien tristes évènements pour écrire des pages emplies de profondeur et d’affliction. Mais ces mêmes évènements ne peuvent pas -non plus- être sans impact sur son oeuvre.
En y réfléchissant un peu, Jean-Sebastien a côtoyé la mort depuis son plus jeune âge puis tout au long de sa vie.
- A 6 ans il perd l’un de ses grands frères, Johann Balthazar
- A 9 ans il perd sa mère, Maria Elisabetha LÄMMERHIRT
- A 10 ans il perd son père, Johann Ambrosius
- A 28 ans il perd des enfants pour la 1ère fois, les jumeaux mentionnés plus haut
- A 35 ans il perd sa première épouse, Maria Barbara, avec laquelle il était marié seulement depuis 13 ans
- Un an plus tard, il perd son frère ainé Johann Christoph qui l’avait élevé et éduqué musicalement, à la mort de leur père
Et la liste ne s’arrête pas là, loin de là : frère, soeur, ses propres enfants, des oncles, des cousins…
Bach était un croyant fervent, théologien même puisqu’il connaissait les textes, les choisissait et leur donnait vie en musique. Marquée par le luthéranisme et le piétisme en vogue – peut-être dans une moindre mesure – son oeuvre est celle d’une rencontre : celle de ses obligations liturgiques et de l’intime, et la mort est sans aucun doute un thème très personnel et singulier dans la trajectoire de son auteur…