Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel, version hautbois d’amour et piano
vanitas vanitatum dixit Ecclesiastes vanitas vanitatum omnia vanitas
Vanité des vanités ! dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité…
Il y a des moments où la vie prend une nouvelle et radicale tournure, … des moments où la vie nous révèle sa véritable nature.
Bien des choses sont vues sous une nouvelle perspective. La vie m’apparait comme un rayon de lumière et nous sommes le prisme à travers lequel il passe, et se réfracte. N’y aviez-vous jamais réfléchit ?
Je pourrais m’évader un instant et partir pour quelque considération plus sentimentale et symbolique et vous dire que l’on vit à travers les yeux de celui qui vous aime de manière inconditionnelle et que lorsque la réciprocité est présente, nous sommes des miroirs face…à d’autres miroirs mais de ceux qui ne font pas que réfléchir la lumière mais la laisse aussi passer et vibrer en eux. (Poétique…ou…comment être le Boss des photons en physique quantique sans être une lumière ?)
J’ai perdu ma mère il y a peu de temps et comme c’était une personne extraordinaire et très courageuse face à la maladie, je ne me suis pas imaginé un seul instant, une seule seconde, ne pas jouer lors de la cérémonie religieuse. Elle ne s’est jamais plainte et n’était pas du genre à avoir peur ou du moins à la montrer : Pourquoi aurais-je alors reculé ?
Comme elle était ma lumière et mon miroir, le morceau à choisir s’imposait à moi comme une évidence : « Spiegel im Spiegel« de Arvo Pärt.
C’est l’un de mes compositeurs fétiches et j’apprécie particulièrement l’émotion qui découle de cette oeuvre nue, à la simplicité déconcertante, à la lumière crépusculaire et pourtant chaleureuse, sans oublier une pointe d’éternité…
Le Miroir dans le Miroir.
Je le redis, ce choix était évident. Parallèlement, cela n’anéantissait pas tout questionnement. On peut toujours douter et particulièrement…de soi ! Cette oeuvre n’est pas sans difficultés ! Et si vraiment vous avez la prétention de dire le contraire, j’attends de vous que vous la jouiez personnellement aux funérailles de vos propres parents.
- Elle est pour violon / Se pose la question de l’adaptation…
- Elle repose sur des notes très longues / Se pose la question de la gestion du souffle…
- L’oeuvre en soi est déjà longue / Se pose la question du trac & de la maitrise de soi…
- Elle est minimaliste et mathématique / Que puis-je ou que dois-je lui apporter ?
- Il existe une adaptation, ou soyons honnête, une simple transposition de Spiegel im Spiegel pour hautbois. La partition n’est plus en Fa mais en Sib : une quarte plus aiguë. Je n’ai pas souhaité la prendre. J’aime trop la couleur, la tonalité originale avec le timbre du violon de Tasmin Little en mémoire ! J’ai donc souhaité prendre le hautbois d’amour pour coller de plus près à cette tonalité mais aussi pour le timbre légèrement voilé et la vibration. Cet instrument m’a toujours paru plus facile et léger à jouer que le hautbois…
- J’ai indiqué ce qui me plaisait dans cette oeuvre il y a de cela quelques lignes. Mais une des caractéristiques intrinsèques semblait m’attirer d’une manière masochiste et irrésistible : ces notes si longues à jouer alors que les événements, la mort, vous coupent au contraire le souffle et vous laisse sans voix… Avec cette ambiguïté d’avoir le besoin de vous exprimer et de ne savoir quoi dire.
- Je pense m’être conditionné avec assez de succès pour parvenir à jouer en pareilles circonstances. L’échec n’était pas envisageable. Il fallait que je me mette au diapason de ma mère et puiser la même force qu’elle : Le miroir dans le miroir…
- Je ne souhaite pas trop m’étendre sur le sujet de l’interprétation. Ce mot me semble d’ailleurs bien prétentieux car je me suis contenté de vivre et de survivre à la musique. Mais la clé me semble être le vibrato. Jouer sur sa vitesse, sur son déclenchement en fonction de l’analyse de l’oeuvre. Je sais que certains souhaiteraient que l’oeuvre soit jouée de manière impassible. Ce n’est pas ma vision des choses ou ma sensibilité. [C’est pour cela que je préfère des milliards de fois plus Tasmin Little que Gidon Kremer dont le jeu me semble froid et distant] Ma vision est orientée, subjective ; il est difficile de ne pas faire avec ce que l’on EST : la passion est en moi, la passion est souffrance, elle est ici de circonstance…
Sept jours plus tard je souhaitais enregistrer l’oeuvre.
Besoin d’y trouver une voie de réconfort ? Ou de revivre ce calvaire physique et métaphysique ?
Je me suis attelé à la tâche et combien il aurait été plus simple de ne pas tout faire tout seul, une fois de plus : Le piano, le hautbois d’amour, la prise de son et l’enregistrement ! Mais la sublime ironie de cette oeuvre aurait été moins drôle si je n’avais pas eu besoin d’un autre moi, mon double maléfique, mon reflet ou mon ombre (?) pour la jouer !
Je n’ai pas souhaité jouer d’une manière mécanique ni trop métronomique même si la conception de l’oeuvre par son auteur l’est ainsi. Avec un tempo un peu plus allant, ma version est ici plus courte d’une minute. Mais est-ce important au final ? Ce n’est pas comme si je vous demandais ce que vous en pensez ?