Apprendre à faire une anche de hautbois, étapes par étapes
J’aimerais ici montrer les différentes étapes utiles à l’élaboration d’une anche de hautbois et je destine cet article avant tout aux jeunes hautboïstes curieux qui ne sont pas encore impliqués dans le processus des anches de A à Z 😉
Cette 1ère partie nous amènera de la matière brut au roseau prêt à l’emploi : gougé, taillé et plié.
Dans la nature et plus particulièrement dans le sud de la France (mais pas seulement !) sur le pourtour méditerranéen pousse l’Arundo Donax. A l’état sauvage ou dans des roselières, il peut faire plusieurs mètres de haut mais seule une petite portion peut nous être utile pour le hautbois: celle où son diamètre va de 9,5 à 11mm.
Au bout de 2 ans souvent les roseaux sélectionnés sont coupés, raclés, soleillés puis stockés dans un local aéré avant d’être coupés et envoyés en canons.
C’est une matière première assez onéreuse que l’on achète le plus souvent au kilo avec un prix allant de 120 à plus de 200€ !
Vous pourrez constater que vu le travail à accomplir et vu la perte de matière (entre 60 et 80%) , il est parfois plus rentable d’acheter un roseau prêt à l’emploi et essayer librement ce qui nous convient que d’investir dans un matériel onéreux qui permet cependant de maîtriser toutes les étapes et d’être plus indépendant. C’est le prix de la passion.
Nous recevons donc les roseaux en canons, sous forme de tubes. Il y a généralement « à boire et à manger » : des tubes de longueurs très inégales avec lesquels on se retrouve avec beaucoup de pertes comme avec par exemple un tube faisant la longueur de 1,5 fois une anche…mais pas 2 fois. Certains tubes ne sont pas très droits non plus, il faut les éliminer ou réussir à sélectionner la bonne portion.

Roseaux en canons, sciés à la bonne longueur
Ici tous mes canons ont été sciés à la bonne longueur, à peu près 76mm de long. Je garde un peu de marge et je pourrais donner un petit coup de guillotine pour ajuster leur longueur à celle du berceau de la gougeuse que nous verrons un peu plus tard.
Pour l’instant il convient -après que le roseau ait trempé quelques temps dans l’eau- de procéder au fléchage. On coupe le roseau dans son diamètre en 3 sections.
Les roseaux ainsi coupés sont beaucoup trop épais pour être gougés, ils ont trop souvent des bords saillants qui dépasseraient du berceau de la gougeuse. Il convient donc de les prégouger.

Les canons sont tous fléchés en 3 sections
Une première méthode les affine sur un plan horizontal, le dessus du roseau parait ainsi égalisé. Mais il existe aussi une seconde méthode qui en plus va enlever la pulpe du roseau pour lui donner une forme creuse comme celle de la gouge mais en plus épais. Cela permet de faciliter le travail de la gougeuse, le plus gros du travail est déjà fait mais surtout de préserver la lame qui de ce fait est moins sollicitée. (Cette lame est assez fragile et onéreuse, son aiguisage et le réglage de la machine requièrent quelques compétences…)
L’étape la plus importante est de gouger les roseaux. Cela consiste à donner une forme de lune au roseau avec un centre plus épais que les bords. De l’épaisseur peuvent dépendre beaucoup de paramètres comme la sonorité, la dureté, la stabilité et la longévité de l’anche. Mais voilà : la densité du roseau, sa nature même, son diamètre, sa future taille, le tube et le montage employé, le grattage et bien sûr l’hautboïste qui joue avec sa sensibilité et sa subjectivité, font que tous les paramètres sont interdépendants et rendent la construction de l’anche passionnante pour qui est un peu fou comme moi…
Pour la gouge, le roseau peut donc être guillotiné pour que sa longueur soit parfaitement adapté au berceau de la gougeuse mais il faut également que leur diamètre respectif coïncident, ce détail est important. Au final l’épaisseur au centre varie souvent de 0,55 mm à 0,60mm avec une épaisseur sur les côtés inférieure de 0,18 à 0,20mm le plus souvent. C’est ainsi que l’on peut trouver par exemple des roseaux marqués 60/40 : 0,60mm ou 60/100ème de milimètre si vous préférez au centre et 0,40mm ou…40/100ème de milimètre sur les côtés.
Une fois le roseau gougé on peut le mesurer pour pouvoir le classer ou le rejeter. Le roseau est une matière souple quoique parfois capable d’être très dure et récalcitrante sous mes outils et qui ne pousse pas « droit » dans la nature. L’idéal est d’obtenir un résultat assez homogène mais on ne peut pas obtenir tout le temps un roseau dont l’épaisseur est parfaite sur toute sa longueur à savoir 76mm. Il faut nous aussi savoir garder une certaine souplesse d’esprit. Concernant la prise de mesure certains hautboïstes la prennent sur roseaux secs et d’autres sur roseaux mouillés. (sur roseau sec, on est plus sûr de sa mesure / sur roseau mouillé on est un peu en « condition de jeu ») Pour moi le plus important c’est d’utiliser toujours le même procédé et que les roseaux produits soient homogènes. Qu’ils fassent réellement 0,57mm ou 0,58: quelle importance ? Ce qui compte c’est de savoir si les roseaux que vous avez ainsi mesurés – avec toujours la meme consistance – vous conviennent ou pas.
La dernière étape que nous voyons aujourd’hui est de tailler le roseau gougé. Il faut que celui ci soit parfaitement taillé pour qu’il ferme convenablement au montage, pour que l’anche soit hermétique. Des outils rudimentaires (et onéreux en plus !) existent hélas encore de nos jours avec des « tailles anches manuels » où l’on taille les roseaux avec un cutter ou un couteau en suivant le profil d’une lame gabarit : je ne les recommande pas car cela peut-être dangereux entre de jeunes mains et le résultat n’atteint jamais la qualité de la machine que je vais vous montrer. Sans acquérir celle ci il donc plus judicieux d’acheter des roseaux qui seront parfaitement taillés par un professionnel.
La taille à elle aussi une influence, un impact considérable. Elle joue sur l’ouverture et la largeur de l’anche, sur sa sonorité mais surtout sur la justesse, la stabilité du son, l’émission du grave et de l’aigu en fonction de votre hautbois et de…vous. La réussite d’une anche est surtout l’adéquation de cette dernière au sein du triptyque suivant :
anche+hautbois+musicien = bonne musique !
Afin de l’adapter au tube liégé qui nous servira lors du montage, il faut encore plier le roseau. Avec la machine ici utilisée une marque est creusée à la surface, au milieu du roseau. Il suffit de le plier entre ses doigts. Pour ma part je préfère m’assurer du bon pliage en positionnant la lame d’un couteau en dessous de la marque.
Nous sommes ainsi arrivés au bout de cette première partie que je m’étais fixé : nous avons un roseau gougé, taillé et plié.
A très bientôt pour la suite… !
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