Histoire de la manufacture instrumentale du hautbois, Brod, Thibouville, Cabart, Couesnon, Lorée
Quand on regarde un instrument de musique et plus particulièrement un hautbois en ce qui me concerne, on ne se doute pas toujours de la manière dont il a été produit…
On en a une vision artisanale, un peu semblable à celle du luthier qui construit de A à Z son violon, comme c’est la cas depuis plusieurs siècles déjà.
Alors, oui nous pouvons avoir cette image en tête. Nous pouvons imaginer un membre de la famille des Hotteterre ou des Chedeville en train de tourner le corps de leurs hautbois, flûtes ou musettes à La Couture-Boussey, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Paris.
Dans cette région où s’écoule paisiblement l’Eure, les buis sont en abondance. C’est la matière première pour les instruments à vent d’alors.
Ces planches issues de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, écrit entre 1751 et 1772 au « Siècle des Lumières » nous laissent imaginer les moyens techniques d’alors.

Hautbois Hotteterre / musée royal du conservatoire de Bruxelles
L’envol du hautbois à surtout lieu au XIXème siècle grâce à des interprètes qui sont tout autant compositeur, pédagogues mais surtout facteurs de hautbois !
C’est ainsi que se développe le hautbois : passant d’un instrument nu avec 2 ou 3 clés à un instrument qui peu à peu s’en recouvre complètement jusqu’à plus de 12 clés grâce aux perfectionnements des Brod ou Triebert.

Hautbois de Brod / Musée de la Musique à Paris
Ce sera la naissance d’un véritable hautbois français, quand à la même époque les Golde ou Sellner feront évoluer l’instrument dans une direction différente et aboutissant au « Hautbois Viennois »

Hautbois de Johann Ziegler à Vienne 1840 / Buis & Ivoire, 14 clés
Mais revenons en France, dans cette petite ville de La Couture-Boussey qui ne comportait alors que 300 âmes environ et qui vivait exclusivement de la facture instrumentale. D’autres générations sont apparues et certains noms demeurent connus encore : Les Thibouville, dont l’un des enfants -le plus célèbre- Jean-Baptiste, donnera toute sa réputation à ce nom avec son entreprise en 1869 à Ezy-sur-Eure, une commune limitrophe. Il lui adossera un nom également devenu célèbre ensuite, celui de son épouse : Rose-Léonie…Cabart !
Ses instruments étaient réputés et il gagna plusieurs médailles, de bronze et d’argent aux concours de l’Exposition Universelle à Paris en 1878 & 1889. Louis Bas, soliste à l’Opéra de Paris pour lequel Camille Saint-Saens composa sa merveilleuse sonate, jouait ces instruments Cabart, réputés pour leur justesse et leur sonorité. Il devint le gendre de Jean-Baptiste et de Rose-Léonie et se mit à travailler pour l’entreprise, en gérant notamment le magasin à Paris, boulevard Saint-Martin.

Cabart de 1870 / Système 5 avec plaque de pouce
Une autre branche de la même famille laissa les établissements Thibouville-Frères dont on voit l’importance industrielle à Ivry-La-Bataille :

Usine Thibouvile-Frères à Ivry-La-Bataille
D’autres dynasties célèbres ont encore vécu là et développée le hautbois, tel les Noblet. Dans ce milieu géographique et professionnel assez restreint il est assez compliqué de s’y retrouver. Il n’est pas rare que plusieurs membres ont le même prénom comme entre un père et son fils ce qui ne facilite guère les choses !
Les associations et les relations entre ces familles sont également complexes, c’est ainsi que l’on peut trouver des instruments Thibouville-Noblet avec Noblet Prudent le jeune, fils (1825- ?)

Hautbois Noblet-Thibouville
Son neveu plus célèbre, Denis Toussaint Noblet (1850-1919) avait fondé les Etablissement Noblet qu’il céda un jour de 1904 à son ouvrier préféré…Georges Leblanc…pour lequel travailla tout jeune et pendant 5 ans en tant que « tourneur » un certain Charles Rigoutat ! (Qui travailla également ensuite pour Cabart et même Lorée en tant que « clétier »)
Le plus amusant de mes recherches fût de remarquer que son arrière-grand-tante Marie Catherine Noblet (1770-1840) épousa un luthier…François Lorée Le Jeune (1769- ?). Peut-être un aïeul du François Lorée (1835-1902) que tout hautboïste se doit de connaître et qui est originaire lui aussi de La Couture-Boussey ?

François Lorée
Comme le monde parait petit ! N’est-ce pas ?
Aujourd’hui tout ce monde fertile à La Couture-Boussey et ses proches environs a disparu. La famille Buffet originaire également de La Couture a installé son Usine Buffet Crampon à Mantes-La-Ville, plus proche de Paris. En 2012 Buffet Crampon acheta Leblanc qui ferma ses portes…
Une seule entreprise y demeure aujourd’hui : Marigaux.
Maintenant le coeur de la facture instrumentale des vents en France s’est déplacé de La Couture à Mantes.C’est là que se trouve également un autre géant : Henri Selmer. Lorée-De Gourdon qui avait jadis un site basé à Ivry-La-Bataille s’est recentré à Magnanville, juste à côté de Mantes. C’est en quelque sorte la « Silicon Valley » des hautbois, flûtes et clarinettes…
Les procédés de fabrication se sont bien sûr modernisés. Les tâches sont individualisées et le recours à des machines sophistiquées est essentiel pour ses gains en terme de qualité et de productivité : fraiseuse CNC, tour numérique, conception informatique 3D…
Nous sommes loin de la démarche purement artisanale dont nous parlions au tout début de l’article et que seuls les fabricants de hautbois anciens, baroques ou classiques, perpétuent mais il est vrai avec des instruments moins complexes.
Pingback: Entre tradition et Modernité : Partie 2 – Alain et ses roseaux enchantés
Pingback: Thème & Variations – Alain et ses roseaux enchantés
Pingback: Le Musée des Instruments à Vent – Alain et ses roseaux enchantés