J’irai cracher sur vos tombes

Apprentissage du hautbois, conservatoire de Lille


Quand j’étais adolescent j’achetais tous les disques de Heinz Holliger. C’était mon idole, un modèle à atteindre…

Je ne vous cacherai pas que malgré la passion qui m’a animé pour le hautbois et mon travail intensif je n’ai pas su égaler mon modèle. Loin de là.

Peut-être faut-il un don très fort. Je pense avec le recul que même avec ce don, même avec un travail régulier, le plus important reste les personnes, les professeurs que vous avez sur votre route. Ils doivent vous enseigner, vous conseiller, vous pousser, vous aider, vous épauler…

En discutant avec des musiciens amateurs comme moi, je me dis que trop souvent seule la première étape est réalisée en conservatoire et qu’il y a un véritable gâchis, musical et humain. Pour moi comme pour d’autres bien avant moi, c’était marche ou crève. Le cours était le lieu de vexations. C’était une sélection naturelle du plus fort ou… du plus laxiste qui tolérait même l’humiliation.

« Pourquoi tu regardes ton anche ? C’est pas elle ! C’est pas le hautbois non plus le fautif. C’est le gars qui ne va pas ! Tu devrais aller poser ton hautbois sur un clou, sur une étagère pour faire décoration ! »

Cette phrase j’y ai eu droit lors d’une répétition générale pour obtenir mon Premier Prix de conservatoire. C’était devant la pianiste accompagnatrice, devant les autres élèves hautboïstes qui eux aussi allaient connaître un assortiment de phrases pour le moins piquantes…

En cours, nous allions avec la peur. Nous écoutions un peu derrière la porte avant d’entrer comme pour savoir quelle était l’humeur du prof aujourd’hui. Avec les filles il était particulièrement misogyne et odieux. Pour elles, il n’était pas rare de sortir en pleurs du cours du hautbois.

Avec le recul je me demande pourquoi nous retournions en cours chaque semaine…même avec un véritable amour du hautbois.

_Du hautbois seulement ? Pourriez-vous dire avec étonnement.

Vous ne parlez pas de musique ?

_La musique ? Non !

On avale des kilomètres de notes. On commence par le cahier de gammes. Il faut savoir le jouer intégralement, sans fautes, sans quoi on recommence depuis le début : des gammes diatoniques, en tierces, quartes, ou quintes, avec des articulations, avec des rythmes précis, mais pas de nuances…

Si on y parvenait on pouvait alors passer à l’étude. Encore de la technique, toujours de la technique : du Ferling, du Lamotte, du Luft, Loyon et bien d’autres.

Comme toujours, mieux vaut ne pas se tromper car vous devinez la suite.

J’ai été l’un des premiers élèves et même le premier tout court à demander si on ne pourrait pas jouer du répertoire.

_ …Euh ….oui…Pourquoi faire ? Et quoi donc ?

_ Et bien… j’avais pensé au concerto en Fa de Bach

Il accepta mais je n’étais pas sauvé pour autant, la Musique non plus d’ailleurs ! Bach c’était encore de la technique, des doubles croches puis encore un flot de notes sans délicatesse. Objectif inavoué : jouer comme un robot. C’est peut être pour cette raison que je suis si doué quand il s’agit de jouer du Pasculli !

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Extrait de La Favorita de Pasculli, en fait c’est simple à jouer : ça tombe sous les doigts !

Mais revenons à ce moment peu glorieux de concerto :

Pourquoi aborder la sonorité ? La justesse ? Le travail sur la respiration ? La vitesse de l’air ? Et les anches ? Pourquoi aborder le style et parler d’interprétation ?

Non rien de tout cela !

Pendant ce temps on abat des notes et on trille comme chez Wagner même si c’est du Bach. Et moi avec toute ma candeur, je me faisais démolir parce que je faisais quelques missa di voce avec mon hautbois, parce que je mettais quelques ornements honnis, et je ne vous parlerai pas des croches inégales dans certaines sonates baroques qui m’ont valu des pages supplémentaires de gammes et d’études puisque apparemment j’étais nul en rythme pour le prof ! Chez moi j’écoutais Michel Piguet, Marcel Ponseele mais surtout le merveilleux Paul Goodwin ! Quel bonheur rafraichissant que découter ce dernier ! J’avais même travaillé un été avec un emploi très physique pour me payer un hautbois baroque que j’ai toujours…

A propos des anches, il faut dire que mon prof connaissait le mode d’emploi, les idées générales sans jamais savoir les appliquer. C’était l’un de ses amis, hautboïstes à l’Orchestre National de France (et un temps accordeur chez Marigaux) qui les lui grattait et qui lui faisait un petit stock…

En parlant de Marigaux, j’avoue que j’ai bien volontiers haï cette marque bien longtemps ! C’était « La » marque de mon professeur et tout le monde devait jouait Marigaux. Un Rigoutat pouvait encore passer les premières années mais arrivé à un certain niveau cela devenait obligé. Je me suis toujours demandé du coup si mon prof ne touchait pas une commission…

Vous vous demandez ce que j’ai fait ? Avec ma passion, ma curiosité et mon idéalisme adolescent…j’ai choisi une marque qu’il ne connaissait même pas de nom (Lorée, il faut le faire…) et un instrument en bois de violette…dont il ne soupçonnait pas non plus l’existence.

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Bois de violette ou Kingwood

Avec dédain il avait quand même souhaité l’essayer après une salve de réflexions désagréables dont il avait le secret et j’étais mort de rire, intérieurement car je ne pouvais le montrer : cela faisait une heure qu’il se battait sur son instrument avec un passage qu’il ne réussissait pas et sur le mien, il avait réussi comme une lettre à la poste ! Il était dégouté :

« …Mwouais, tiens, ça marche bien » me dit-il en me tendant mon instrument.

Parfois il recommandait un élève pour aller travailler en parallèle sur Paris avec un autre prof : uniquement parmi ses amis ou ses bonnes connaissances bien entendu ! Des copains étaient partis chez Pascal Saumon. Aussi quand je suis venu lui dire que je voulais continuer à travailler avec lui tout en allant voir également un autre prof sur Nanterre mais que je choisissais (bonjour Claude !) : je me suis fait virer du cursus de Perfectionnement !

Mon professeur en dehors du jour où je l’ai surpris en train de louper son passage puis de le réussir sur mon instrument ne jouait jamais ! Ni avant le cours, ni après et encore moins pendant le cours ! C’était pour ne pas nous influencer disait-il…Non mais quel con !

Le mot est dit.

Cela aurait été tellement plus simple d’avoir un exemple illustré par le hautbois quand on se retrouvait coincé sans savoir ni comprendre ses attentes !

Je pourrais ajouter des centaines d’anecdotes tant le sujet est inspirant. Tant de mauvais souvenirs refont surface quand on en aborde un seul.

Il m’a fallu une dose exceptionnelle de masochisme pour aller toutes les semaines en cours de hautbois et continuer à jouer avec envie et ambition, avec amour.

Je n’aurais peut-être pas du…

Croyez donc bien que dans un parcours réussi, le don, le talent, le travail ça compte, ça compte beaucoup… Mais vous ne pourrez pas m’ôter de l’esprit que les personnes, les professeurs qui sont sur votre route comptent tout autant voir plus.

Epilogue

Ce charmant (c’est ironique) professeur a été l’auteur de 2 cahiers d’études…techniques dans lesquelles on ne joue que des traits de violon…forcément des trucs qui se prêtent bien au hautbois (ironie, encore…). Je connais mieux Mazas, Fiorillo, et Kreutzer que Nigel Kennedy (là je blague…)

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Nigel Kennedy, Merveilleux violoniste

Pour son départ en retraite, le directeur du conservatoire lui avait demandé de se produire au concert de fin d’année avec l’orchestre des étudiants.  C’était le concerto de Vivaldi RV 447, forcément…un déluge de notes…sans musicalité. On peut en mettre, c’est même recommandé, mais ce n’est pas la partition qui s’y prête le plus ! Jugez-en plutôt !

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Avant la date fatidique, mon prof allait aux toilettes toutes les 15 minutes tellement il était en stress. A part ça il ne comprenait pas pourquoi je tremblais un an avant le jour de mon examen devant Pierre Pierlot !

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Pierre Pierlot, à gauche avec le quintette à vent français

Le concert ? Je n’aurais pas voulu le manquer pour tout l’or du monde ! Entendre enfin mon merveilleux professeur ! C’était à Lille, au théâtre Sébastopol. Je m’y étais rendu avec une copine hautboïste, Valérie, dont le père était lui-même prof de hautbois et qui ne soupçonnais pas ce qui pouvait être dit sur lui et à sa fille…Nous comptions les ratés, nous attendions et espérions les moments de plantage  de cet hautboïste qui finalement jouait assis…pendant que j’immortalisais son échec sur cassette VHS car j’avais emprunté le camescope de mon père.

Quand je pense à lui encore autant d’années après, car c’est impossible de l’oublier et je ne vous ai dit que ce qui est dicible et présentable, je songe à un titre de livre de Boris Vian, une phrase qui résume mon ressenti et le titre de cet article :

J’irai cracher sur vos tombes.

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2 réflexions sur “J’irai cracher sur vos tombes

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